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____Vingt
minutes de métro et nous voilà chez Max. Il n’a pas
trop changé par rapport à la photo de lui à 23 ans
que j’avais vue. Ses cheveux ont blanchi, c’est tout. Le pape
de la bande dessinée punk française est aussi gentil que
je l’imaginais. Il nous met tout de suite à l’aise,
mais je suis tout de même intimidé face à un auteur
qui me suit depuis tant d’années : j’ai commencé
à lire ses bandes dessinées à l’âge de
huit ans à la bibliothèque de Niort …
Son appartement est hallucinant, et nos rétines seront mises à
rude épreuve : des robots, distributeurs de Pez, jouets anciens,
affiches, comics, dessins, livres, séries Z et autres merveilles
dans tous les coins. Le moindre centimètre carré est occupé.
Je suis émerveillé, c’est une véritable caverne
d’Ali Baba, un univers hors du commun. Son bull terrier, Evita,
me lèchera frénétiquement les mollets pendant toute
cette conversation…
S.G.
: Les aventures du Baron Bad Miloo, ça a commencé il y a
20 ans, ça ne te fait pas bizarre de ne sortir le recueil que maintenant
?
Max : Non, parce que je l’ai fini depuis pas très longtemps…
En 2001 ou 2002.
S.G. : Mais tout a démarré dans Métal…
Max : La première histoire de Bad Miloo a été créée
en 1983 ou 84 ; ça paraissait dans Métal Hurlant à
raison de deux pages par mois. Ça a duré deux ans, du numéro
80 au numéro 120 à peu près, jusqu’en 86 (troisième
série de Métal) quand le magazine a été racheté.
La deuxième histoire, je l’avais commencée pour Ogoun,
en 1995 à peu près… Mais comme je suis un gros feignant,
je l’avais jamais finie. Quand Poussin (NDLR : rédacteur
en chef d’Ogoun) me disait « il faut des pages », je
les lui faisais, et j’en avais jamais plus d’une d’avance
pour le numéro d’après.
Plus tard, en 2000, Menu m’a proposé de faire un bouquin
à L’Association, dans la collection Mimolette. Je lui ai
propsé de finir le Bad Miloo. Il m’a dit « ouais pourquoi
pas ? », c’est alors que je l’ai fini, en un mois et
quelques…
S.G. : Et il a refusé le projet en fait ?
Max : Non non, il le voulait bien ; mais c’est moi qui ai dit «
Oh ! Mais pourquoi je finirais pas la série que je faisais pour
Flag à la place ? ». Enfin, la série que je voulais
faire pour Flag (NDLR : zine de bandes dessinées avec Vuillemin,
Mezzo, Ouin…) mais que je n’avais jamais réussie à
mettre en place, c’était trop compliqué. Puis je me
suis dit « tiens, je vais refaire Sombres ténèbres
». On en a discuté avec Menu, et lui aussi préférait
ça. J’avais parlé de quatre volumes mais après
j’ai dérapé, j’en ai fait six en tout. Je me
marre bien, c’est hyper facile de faire ça, t’as l’impression
que ça se fait tout seul, c’est incroyable. C’est pas
vrai en fait, mais j’me marre bien…
S.G. : Tu as dessiné tout ça rapidement…
Max : Ah ouais… Des fois, quand j’étais bien barré,
je pouvais faire trois pages dans la même nuit, ou journée…
S.G. : Trois pages dessinées et encrées ?
Max : Ouais, l’encrage c’est pas le plus chiant, je dessine
hyper vite… Le plus long, c’est le crayon de couleur. J’utilise
un papier lisse et des crayons gras, donc il faut appuyer comme une brute.
Ça me déforme les doigts, comme tu peux le constater…
S.G. : Putain !
Max : Et encore, j’ai pas travaillé ces derniers temps…
Il fait trop chaud, le papier colle… Vivement la Toussaint, hein
! L’été c’est dur…
S.G. : On peut constater une nette évolution entre le volume un
et le six…
Max : Ouais, parce que dans le un je connaissais pas encore très
bien le personnage…
S.G. : Tu hachures beaucoup moins qu’avant aussi. Tu utilises plus
les gris…
Max : Ouais… Mais c’est marrant parce que je travaille en
gris chauds et eux, ils impriment ça en gris froids… Mais
j’aime bien…
S.G. : De toutes façons, quand on a vu l’original, la différence
avec la version imprimée est toujours frappante… Tes pages
en couleur pour Métal Hurlant par exemple…
Max : C’est clair…Et puis à l’époque,
le numérique n’existait pas… Dans Métal, fallait
faire la balance, on imprimait huit films d’un coup… T’avais,
par exemple, une page de Chantal Montellier, qui mettait des aplats de
rouge primaire, d’un côté ; et une de Denis Sire, qui
faisait des ambiances aquarellées avec cinq coloris différents,
de l’autre. Et entre les deux, t’avais un mec comme moi qui
utilisait du jaune qui pète à fond. Tu peux imaginer le
bordel que c’était pour le mec de la photogravure qui devait
faire la balance de tout ça . Quand l’album sortait, tout
le monde râlait parce que c’était jamais comme les
originaux, c’était impossible…
S.G. : C’est vrai que c’est plus simple de nos jours...
Max : Ouais… Et on arrive à un résultat quand même
assez proche de l’original. Ce ne sera jamais identique, c’est
évident ; car il y a des couleurs qui sont lumineuses et d’autres
qui le sont moins… Mais on fait du bon boulot.
S.G. : D’ailleurs, quand tu achèteras ton mac, j’espère
que tu ne te mettras pas à la colorisation numérique…Tes
dessins y perdraient de leur charme.
Max : Non, ça me branche pas. Regarde les comics américains
en ce moment… T’as l’impression que c’est toujours
le même coloriste… C’est vraiment moche. Les Batman
de maintenant… Le dessin est fabuleux, mais alors les couleurs c’est
l’enfer : chaque fois qu’il y a une explosion, elle est dessinée
en rouge avec un dégradé faux aérographe merdique.
S.G. : Par contre, j’aime bien les couleurs mécaniques, dans
les vieux comics, quand tout était tramé…
Max : Ah… Les couleurs mécaniques… La femme de Franck
vient de m’appeler pour avoir ce Batman des années 70. C’est
une réédition, et la couleur mécanique, ils ont réussi
à la massacrer… On voit plus le point de trame… Ils
ont tout recolorisé…Mais bon, c’est toujours mieux
que les trucs de maintenant.
S.G. : Sinon, tes histoires traitent souvent de la guerre…
Max : Ouais, enfin sans plus…La guerre c’est à cause
de José louis Boquet (NDLR : voir l’album Panzer Panik).
C’était un boulot pour Métal Aventure, Boquet m’avait
proposé une histoire avec des chars allemands. Il ne devait y avoir
qu’une seule histoire mais Fromental, le rédacteur en chef
de Métal Aventure, nous a proposé d’en faire une tous
les 2 mois. J’ai accepté et lui aussi, voilà, ça
c’est fait comme ça. Mais c’est vrai que j’aime
bien dessiner des tanks ou des avions, comme un gamin aime bien jouer
avec ses soldats !
S.G. : Et les robots, la science-fiction, tout ça… Par exemple,
il y a plein de références à des films dans tes bandes
dessinées…
Max : J’aime bien mettre des petits clin-d’œil. Par exemple,
on peut voir entre autres Robbie de Planète Interdite, Bender de
Futurama, un extra-terrestre de Mars Attack ou un perso de Monstres et
Compagnie dans Sombres Ténèbres. J’en mets même
dans les textes… Des phrases comme dans Ubick de Philip K. Dick,
des trucs comme ça…À la limite, quelqu’un qui
a lu le livre, d’un coup ça va le faire marrer. Par les roupettes
d’Aasimov ! Par Saint Philip K. Dick ! Des conneries comme ça…
J’aime bien, c’est des genres d’hommages…
S.G. : Quand j’étais petit, je dévorais tous les livres
de la collection Humour des Humanos: Jano, Tramber, Goosens, Margerin,
Schlingo, toi…. Qu’est-ce qui s’est passé ? D’un
coup, ils vous ont tous virés ?
Max : Quand ça a été racheté, Métal
Hurlant se faisait sur les Champs Elysées dans le même immeuble
que Mickey, Picsou, tout ça… Ils ont vu que le journal marchait
pas très bien. Les ventes avaient baissé, surtout parce
que le rédactionnel était moins bien. Les bandes dessinées,
c’était toujours la même équipe, le même
esprit … Alors ils ont dit : « on garde les Humanos, mais
on arrête le journal ! ». On était tous mal. Dans la
bande dessinée, ce qui paye, c’est de publier dans un mensuel
et d’être payé une fois par trimestre. Tu te fais 10
000 ou 15 000 balles et tu tiens avec trois mois. Et tous les deux ans,
tu sors un album. C’est 20000 balles direct ; mais pour 2 ans de
boulot, c’est une misère…
Ils ont dit : « on va tout restructurer, on va garder Bilal, Moebius,
etc… Les autres : Denis Sire, Eberoni, Tramber, Max, tous ceux qui
vendent moins de 15 000, dehors ! »
(NDLR : Métal Hurlant est créé en 1976 autour de
Moebius, Farkas, Druillet et Dionnet. C’est le temps béni
de l’indépendance… Seulement, à force d’éditer
des auteurs durs à vendre, les dettes s’accumulent. La faillite
menace et il ne reste plus qu’à vendre. C’est un groupe
de presse espagnol, Litoprint, qui remporte la timbale au début
des années 80. Dès lors, tout va pour le mieux… Tant
et si bien que les ventes ne cessent d’augmenter, jusqu’à
atteindre les 100 000 exemplaires par parution, un chiffre pour le moins
honorable. Jusqu’au jour où Jean-Luc Fromental et Philippe
Manœuvre décident de créer deux nouveaux journaux en
plus de ce bon vieux Métal. Respectivement Métal Aventure
et Rigolo. Alors le lectorat se divise et chaque journal vend entre 25
et 30 000 exemplaires. C’est la dégringolade…)
S.G. : D’ailleurs, t’as vu le Métal Hurlant nouvelle
formule qu’ils ont sorti ? c’est ridicule !
Max : Ce qui m’a énervé, c’est qu’ils
ont commencé au numéro 137 ou 138, comme si c’était
le suite, mais ça n’a rien a voir !
Ce qui m’enmerde dans la bande dessinée de maintenant, c’est
qu’ils se prennent vachement au sérieux, tout en te pondant
des scénarios de mauvais téléfilms… Oh, il
y a des trucs bien, mais y en a d’autres… Vraiment ! C’est
le bordel toutes ces longues histoires en 20 volumes. C’est hallucinant
! Y’en a trop ! Ils vont finir par… La bande dessinée
est en train de saturer ! Tu rentres dans une librairie, c’est de
la folie ! Tu mets une heure pour trouver le livre qui t’intéresse…
Je regarde les nouveautés, je deviens dingue, je me dis : «
Je sais qu’il y a un Burns qui est sorti, mais il est où
? Vire-moi ces merdes science fiction pourrie de chez je sais pas trop
qui… »
S.G. : Sinon, qu’est-ce que tu comptes faire après ? Tu veux
continuer Sombres Ténèbres?
Max : Ouais, si ça intéresse quelqu’un… Mais
je finirai la série, en ce moment, c’est un peu comme si
je prenais des vacanes … Ouais, je compte vraiment la finir.
S.G. : La finir, ça veut dire encore deux volumes?
Max : Ouais, encore deux… Ca fera huit petits bouquins.
Sylvain Gérand
et Marie Besson
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